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Littérature anglaise - Page 46

  • Liberté

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    « L’incapacité de Phyllida à réaliser ses rêves avait forgé ceux de Madeleine. La vie de sa mère était l’exemple à ne pas suivre. Elle incarnait l’injustice que Madeleine allait réparer. Entrer dans l’âge adulte en pleine poussée progressiste, grandir à l’époque de Betty Friedan, des manifestations pour l’égalité des droits entre les sexes et des chapeaux conquérants de Bella Azbug, affirmer son identité au moment où celle-ci connaissait une profonde mutation, était une liberté digne des plus grandes libertés américaines que Madeleine avait étudiées à l’école. »

    Jeffrey Eugenides, Le roman du mariage

  • Le roman de la vie

    Y a-t-il période plus propice aux rencontres que le temps des études sur un campus universitaire ? Le roman du mariage de Jeffrey Eugenides (The Marriage Plot, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis) continue à captiver ses lecteurs en format de poche – un gros roman d’amour, mais pas seulement. 

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    Le titre renvoie d’abord à un cours choisi par Madeleine Hanna, étudiante en lettres : « Le roman du mariage : œuvres choisies d’Austen, d’Eliot et de James ». Le jour de la remise des diplômes à Providence, Rhode Island, le coup de sonnette de ses parents rappelle à Madeleine le petit-déjeuner qu’ils ont convenu de prendre ensemble, mais elle n’a pas du tout la tête à faire la fête après une nuit agitée et trop alcoolisée.

    Phyllida et Alton sont en pleine forme, eux, ravis de féliciter leur lauréate. Malgré les années et leurs prises de bec, Madeleine observe sa mère « une fois de plus en parfait accord avec les circonstances », soignée, enthousiaste, de quoi se sentir encore plus déphasée. Ses projets de vie commune avec Leonard Bankhead inquiètent sa mère, qui lui préfère Mitchell, « le genre de garçon dont elle aurait dû logiquement tomber amoureuse et devenir l’épouse, un garçon intelligent et sain qui plaisait à ses parents. » 

    Après ses études de théologie, Mitchell Grammaticus  (à moitié grec, comme l’auteur) a prévu de faire un grand voyage jusqu’en Inde avec un ami. Madeleine, sans réponse à sa demande de troisième cycle, se sent perdue, sans endroit où aller sinon chez ses parents. Elle vient de rompre avec Leonard, rencontré au cours de « Sémiotique 211 » (question de se mettre au courant des théories littéraires en vogue), un des dix étudiants sélectionnés pour ce programme.  

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    Bien qu’il se spécialise en biologie, Leonard a suivi ce cours « par intérêt philosophique », et dès leurs premières conversations, Madeleine a découvert quelqu’un d’étonnant, d’une intelligence fulgurante, très différent de ses petits amis précédents. A la même époque, elle lisait Fragments d’un discours amoureux de Barthes, qu’elle ne lâchait plus. Mais Leonard a ironisé lorsqu’elle lui a parlé d’amour, et elle a décidé alors de rompre.

    Mitchell a eu sa chance, quand Madeleine l’a invité chez ses parents pour Thanksgiving, pour ne pas le laisser seul sur le campus. C’est alors qu’il a charmé ses parents mais s’est montré trop timide avec elle – elle l’a laissé tomber, et pourtant lui ne pense qu’à l’épouser. Et voilà que juste avant la cérémonie des diplômés, un ami de Leonard téléphone à Madeleine pour lui apprendre que celui-ci est à l’hôpital, pour une grosse dépression.

    Furieuse que ses colocataires lui aient caché son état, Madeleine oublie la cérémonie, file à l’hôpital : Leonard, sous lithium, estime qu’elle a bien fait de quitter un « handicapé affectif », les unités de cours à récupérer pour obtenir son diplôme l’obsèdent,. Madeleine, qui n’a reçu aucune réponse positive à ses demandes de troisième cycle, se trouve un nouvel objectif : aider Leonard à s’en sortir. 

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    Sur près de six cents pages, Eugenides décortique les états d’âme des uns et des autres, suit chacun des personnages dans ses pérégrinations, Mitchell dans son voyage autour du monde et ses interrogations spirituelles, Leonard entre les hauts et les bas d’un maniaco-dépressif, Madeleine dans ses lectures et l’analyse de ses sentiments personnels. « Un remake de « Jules et Jim » transposé dans l’univers drolatique de David Lodge », titre André Clavel (Le Temps) 

    Dans Télérama, Nathalie Crom fait l’éloge d’un « récit d’apprentissage de facture classique, remarquablement intelligent et infiniment séduisant. » Fallait-il tant d’adverbes ? Il y a des longueurs dans Le roman du mariage. Eugenides, qui dédie son roman à ses « colocs », décrit d’abord les mœurs universitaires à Brown, dans les années 80, avec pas mal d’ironie quant aux effets du structuralisme sur les approches littéraires, mais fait surtout place ensuite aux interrogations existentielles. Une fois le campus quitté, il faut choisir sa vie – pour ou contre, avec ou sans – et interviennent alors l’éducation, le milieu, les sentiments, les réponses du monde à nos attentes, et les circonstances, imprévisibles.

     

  • Gloversville

    russo,richard,ailleurs,récit,littérature anglaise,etats-unis,autobiographie,mère et fils,famille,culture« Retourner à Gloversville une fois de plus était peut-être une idée folle, mais elle n’était pas nouvelle, loin de là. Autant que je pouvais en juger, elle avait commencé à germer dans le chalet que nous avions loué lors de notre arrivée dans le Maine, puis elle avait progressé et s’était éloignée au gré des fluctuations de son esprit. Le problème (j’en avais conscience depuis notre voyage dans l’Arizona), c’était qu’il existait deux Gloversville aux yeux de ma mère, celui qu’elle avait toujours essayé de fuir quand elle y vivait, et l’autre, qu’elle considérait, avec nostalgie, comme son vrai foyer chaque fois qu’elle s’en éloignait. Quand elle y habitait, c’était un endroit minuscule, isolé, fruste, borné, qui l’empêchait d’être elle-même : libre, anticonformiste, sans entraves. Mais dès qu’elle quittait le nid, ces choses qu’elle détestait prenaient un aspect plus séduisant. La petitesse tant abhorrée devenait synonyme de confort, pas besoin de voiture pour vivre là. Les personnes chères, celles-là mêmes qui violaient votre intimité et vous abreuvaient de conseils inopportuns, se trouvaient juste à côté. Et, vues de loin, elles paraissaient moins indiscrètes que prévenantes et bienveillantes ; leur sollicitude était un filet de sécurité. »

    Richard Russo, Ailleurs

  • Russo et sa mère

    Ailleurs de Richard Russo (Elsewhere, 2012, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch) est un récit autobiographique – « plus l’histoire de ma mère que la mienne », précise-t-il. L’auteur du Déclin de l’empire Whiting, à la mort de sa mère, entreprend de remonter le temps vécu avec elle. Fils unique d’une divorcée (son père était joueur), le romancier américain a nourri son œuvre de Gloversville, sa ville natale, une cité sans charme un temps célèbre pour ses ganteries – son grand-père maternel y travaillait.  

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    Avec sa mère, il partageait « une modeste maison avec ses parents dans Helwig Street », ses grands-parents en bas, eux en haut, dans deux appartements identiques. C’est la solution qu’elle avait trouvée pour vivre indépendante, son obsession, en leur versant un loyer. Employée chez General Electric, Jean était fière d’avoir fait son chemin « toute seule » et d’avoir « nourri, habillé et élevé » son fils. Jusqu’à la fin de sa vie, même dans la Résidence dont il réglait les frais, elle répondrait : « Oh non ! Je vis de manière indépendante. »

    En regardant avec ses filles les photos de sa mère jeune, il se rappelle ses tenues chic, son optimisme forcené, son ambition – surtout pour lui : « Toi, me répéta-t-elle durant tout le lycée, tu ne resteras pas à Gloversville. » Ses résultats lui permettent d’étudier dans l’Etat de New York, mais il observe que l’Université d’Arizona serait moins chère et à sa grande surprise, sa mère ne proteste pas. Elle a décidé de l’accompagner vers l’Ouest dans la grosse Ford Galaxie qu’il a achetée d’occasion, si terne que ses amis l’ont surnommée « la Mort Grise ».

    C’est un périple, pour quelqu’un qui vient d’avoir son permis, en compagnie d’une mère un peu « cinglée », comme disait son père. Ses grands-parents jugent déraisonnable que sa mère abandonne ainsi son emploi. Mais elle ne pense qu’au bonheur de « quitter enfin cet endroit horrible, horrible », de vivre « ailleurs ». Les choses seront plus difficiles qu’elle ne l’avait cru, et après une série de petits boulots à Phoenix, sa mère finira par rentrer à Gloversville.

    Au fil des ans, les problèmes de sa mère s’accentuent, ses exigences, ses plaintes, sa fragilité mentale. Richard Russo est d’une patience extrême avec elle, culpabilise à chacune de ses crises, s’efforce de lui faciliter la vie autant que possible. Sa femme Barbara, avec qui il a deux filles, accepte de la loger chez eux chaque fois qu’aucune autre solution n’est possible, mais c’est vite l’enfer avec quelqu’un d’aussi exigeant.

    Eux-mêmes déménagent régulièrement, « nomadisme universitaire » oblige, et à chaque fois, il faut trouver un logement pas trop éloigné pour sa mère qu’il est le seul à pouvoir calmer. Ses crises d’angoisse la mènent de dépression en dépression. Mais il admire son goût pour la lecture, qu’elle lui a communiqué, et sa bibliothèque de livres soigneusement sélectionnés alors que sa femme et lui en accumulent sans ordre ni choix véritable, pour des raisons professionnelles.

    Quand Richard Russo abandonne l’enseignement pour écrire à plein temps – le succès lui permet à présent de vivre de sa plume, malgré les contraintes qui en découlent – sa mère désapprouve, comme ses parents lorsqu’elle avait quitté Gloversville la première fois. Un jour, après un épisode de confusion totale, le bon fils devra bien accepter le diagnostic de démence et de troubles obsessionnels compulsifs chez sa mère, les signes annonciateurs lui en sont familiers depuis longtemps. 

    A la douleur d’être impuissant devant ces troubles s’ajoute une réflexion profonde sur leur ressemblance : quelle est la part d’hérédité dans cette démence – sa grand-mère en présentait des symptômes – alors que sa mère et lui sont « de la même étoffe », comme elle a toujours affirmé ? N’est-il pas lui aussi « obsessionnel, obstiné et rigide » ? Avec l’empathie, la compassion envers sa mère, cette interrogation personnelle constitue la part la plus forte d’Ailleurs. Ecrire, voilà ce qui permet à Russo de vivre avec tout cela – « Mais je ne veux plus être un petit garçon, plus jamais. »

  • Deux jeunes filles

    coe,jonathan,la pluie avant qu'elle tombe,roman,littérature anglaise,secrets de famille,culture« Et voici la cinquième photo pour toi, Imogen. Une scène hivernale. Le parc public de Row Heath, à Bournville, dans les premiers mois, terriblement froids, de 1945.
    J’ai du mal à regarder cette photo. Elle a été prise par mon père, avec son petit appareil, un dimanche après-midi. L’étang qui se trouve au centre du parc est gelé, et des dizaines de gens y patinent. Au premier plan, en gros manteau et bonnet de laine, regardant droit dans l’objectif, deux silhouettes : moi, onze ans, et Beatrix, quatorze ans. Beatrix tient une laisse dans sa main gauche, et au bout de la laisse, à ses pieds, Bonaparte s’impatiente. Les deux jeunes filles sourient, d’un grand sourire heureux, sans se douter de la catastrophe qui va s’abattre sur elles. »
     

    Jonathan Coe, La pluie, avant qu’elle tombe